Je marche dans les montagnes.
La couronne solaire, haute, dans le ciel bleu, veille sur moi avec bien plus de bienveillance que je ne pourrais en distiller pour moi-même. Mes pas sont lents. Je suis seul. Le sentier me demande beaucoup d’efforts. Mon dos est trempé de sueur. Mes yeux brûlent. Je suis essoufflé. J’inspire et j’expire la lumière. J’écoute le langage du soleil.
Je pense à mes Etoiles.
Invisibles Etoiles en mon cœur vibrant et ma marche.
Mes Etoiles. Femmes et Hommes qui m’élèvent. Me grandissent. M’humanisent. Ont sauvé ma vie. Sauvent ma vie.
Je progresse vers le sommet. J’ai choisi de rejoindre le monastère de San Cristofol. Un lieu druidique. Un lieu de contemplation. Un lieu d’énergie tellurique tellement intense que seul le silence peut résoudre l’énigme de l’immensité. Avec de grosses chaussures, j’avance. Une canne frappée sur la roche ocre. Un chèche fétiche venu des montagnes du Haut-Atlas sur ma tête et dans mon cou. Je rajoute quand je le peux une pierre aux Cairns que d’autres ont dressés pour moi. Dressés à des endroits bien visibles. Ces petites constructions de pierre aident le marcheur lorsqu’une ambiguïté de chemin se présente. Je me baisse, je ramasse une pierre, je la pose sur le Cairn. Ça me demande un effort. J’avance de Cairn en Cairn. Me baisser. Ramasser une pierre. La placer sur l’édifice. Tout en marchant. Tout en le contournant. Tension. Souffle. Mal de dos. Je place mes pas dans les pas de celles et ceux qui m’ont précédé. Je place mes mains aussi. Je place ma pierre. Mes Etoiles. Mes Cairns. Femmes et Hommes invisibles souvent.
Je le serai, l’Invisible, pour celle ou celui qui passera ici.
Mes Etoiles et mes Cairns. Je pose un pied devant l’autre sur le sentier qui me recueille. Progression lente. Mon cœur me fait un peu mal. Une douleur nouvelle dans ma vie. Souffle. Pause.
Certaines de mes Etoiles sont parties de l’autre côté du voile. Je leur parle souvent. Je les écoute aussi.
Chacune de mes Etoiles m’a transmis une part du mystère. Mystère d’aimer. Mystère de caresser. Mystère de me laisser caresser. Mystère de traverser l’angoisse. Mystère d’assumer mes désirs. Mystère d’écouter. Mystère d’accueillir. Mystère de protéger. Mystère d’encourager. Mystère d’être généreux. Mystère de me replier. Mystère de me défendre. Mystère d’être « un ».
Oh, mes Etoiles, mes Cairns.
Certaines de mes Etoiles sont là. Bien vivantes. Je profite de nos vibrations d’âmes et de corps. On dit si souvent « la vie, c’est maintenant, profitons ». On ne prend pas, jamais, suffisamment, la mesure de ces mots, vraiment, tout en profondeur. On devrait s’agenouiller devant l’immensité du Cosmos en prononçant ces mots.
Oh, mes Etoiles, mes Cairns. Invisibles et visibles.
Ici, dans les montagnes, une de mes Etoiles, un de mes Cairns, c’est José.
En même temps que je pense à José, j’arrive au monastère de San Cristofol, si haut silence où passent encore les vautours.
D’ici, je vois la mer. Dans l’air, une transparence inédite ouvre mon âme. Mes yeux regardent mieux. Une imperceptible main me dirige vers cet endroit de l’horizon. La mer. Merveilleuse.
Un ruban bleu foncé, horizontal, soutient le bleu clair infini du ciel. Bleu et bleu. C’est beau. J’ai soif. Ma gourde isotherme bleue garde le thé tellement chaud que je suis obligé d’emporter avec moi, dans mon sac à dos, un verre en verre. Rituel. Je pose le verre sur la pierre minérale ocre à côté d’un brin de thym sauvage. Je verse le thé brûlant. Je suis un paratonnerre qui relie l’immensité du Cosmos et notre Terre. Le thé brûlant. L’eau. L’air. La terre. Le feu.
Ici, une de mes Etoiles, un de mes Cairns, c’est José.
José, quand il parle, on ne comprend pas tout. Il laisse de côté un mot sur deux. Et ses mots perdus, abandonnés en chemin, roulent dans l’eau des fontaines. Sa langue est un mélange de vent et de romarin.
José, il vient de temps en temps à la maison. Je lui offre une bière. Je sors mes meilleures olives. Je coupe des morceaux de fromage de chèvre. Et nous nous installons. Sur des petites chaises de bois très anciennes.
Alors, avec José, on parle.
Sans trop se comprendre.
On parle. Avec nos noyaux d’olives déposés dans une assiette en terre cuite. Poc. Avec nos cure-dents que l’on plante dans le fromage de chèvre. Pique.
On parle avec nos yeux.
José, c’est le gardien de la montagne. Il dédie sa vie à scruter le moindre départ de feu. Ici, le feu, lorsqu’il décide de naître, sous le vent, se multiplie très vite et dépasse la chèvre hispanique au galop.
José veille. Invisible présence dans l’horizon rond.
José, sa vie, c’est « regarder ». Regarder le nuage. Regarder la foudre. Regarder le vent. Humer l’orage. Sentir. Pressentir. Tenir entre ses doigts le caillou. En doser la chaleur. Un genou en terre. Rejoindre la vibration de la pierre et du sous-sol.
José, quand il parle, on ne comprend pas tout. Sa parole est quantique. Ses mots évoquent, dans le même mouvement, hier, aujourd’hui et demain. Ici et là-bas.
José, c’est une Sentinelle.
Un veilleur.
La Sagesse des montagnes.
Le Soi des montagnes.
Au sommet de la montagne, je suis assis. Je contemple le lointain. Le thé est encore trop chaud dans le verre en verre. Je souffle dessus. Je pense aux Sentinelles qui nous entourent. Je sais qu’en cet instant précis, à des kilomètres, José veille sur moi. Discret. Quelque part. Sans que je ne puisse le voir. Oh, les Sentinelles invisibles.
Je pense à l’Esprit du vent qui protège ma progression en ces sentes difficiles. Je pense aux Portes des montagnes qui s’ouvrent à mon passage, m’accueillent, se referment derrière moi comme un ventre de mère. Je pense aux réseaux telluriques qui guident les animaux et me guident sur d’étranges sentiers au plus proche de nos vibrances.
Dans ses phrases, José glisse des Sentinelles invisibles.
Des silences où je me faufile.
Pour retrouver mes Etoiles et mes Cairns.
J’avance de Cairn en Cairn.
Sous la protection des Etoiles.
La vie.
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