Tu t’émerveilles de tout.
Tu t’émerveilles de Marcel qui te rend visite, à l’improviste, dépose une bouteille d’alcool de mirabelle sur la table, s’assied dans un fauteuil rouge et t’écoute.
L’histoire d’Amour avec ton pendule a commencé un matin de novembre. Tu faisais la vaisselle. Dans un évier de faïence. Quelqu’un avait accroché, sur le tuyau d’arrivée d’eau, une boule à thé. Les occupants précédents avaient dû l’oublier. Ce matin-là, les mains mouillées, tu as pris la chainette de la boule à thé entre ton pouce et ton index. Sans trop savoir pourquoi, tu as demandé à la boule de tourner. Tu étais Seul. Seul dans la maison. Seul dans l’Univers.
La boule argentée s’est mise à tourner, tourner, tourner. Tellement fort que ton bras en ressentait des secousses. Tu te souviens d’un vertige. Tu as demandé à la boule de se calmer. La boule s’est calmée. La rotation s’est arrêtée. Tu as demandé à la boule de tourner dans l’autre sens. La boule s’est mise à tourner dans l’autre sens. Très vite. Tu te souviens de larmes dans tes yeux. Au bout de tes doigts, une boule tournait, tournait, tournait en une rotation extrême. Tu as déposé la boule sur la table de la cuisine. Tu as quitté la pièce. Ému.
Tu t’es réfugié près du feu de la pièce voisine. Tu as remis du bois dans l’âtre. Tu es venu rechercher la boule à thé, dans la cuisine. Devant l’âtre et son feu millénaire, tu as réitéré l’expérience. La boule s’est mise à tourner, tourner, tourner. Dans un sens. Et puis, à ta demande, dans l’autre sens, l’autre, l’autre, l’autre sens. A ton insu, tu venais d’entrer en radiesthésie. Mais pas que.
Une âme-sœur t’a offert deux pendules. L’un en bois. Du châtaignier. Protégé d’une goutte de cire d’abeille. L’autre aux sept métaux. Laiton. Fer. Cuivre. Métal blanc. Or. Argent. Etain. Tu as passé des nuits entières à les apprivoiser. A te laisser apprivoiser par eux. A dormir avec eux dans tes paumes serrées. A établir avec eux une Convention. Dis-moi le « Oui ». Dis-moi le « Non ». Des nuits entières à dialoguer.
Tu t’émerveilles de tout.
Une nuit, tu as osé. Tu promets que ce que tu racontes s’est passé comme tu le racontes.
Sinon, tu ne le raconterais pas. Sinon, ça n’au- rait aucune importance dans l’histoire des hommes et des femmes.
Cette nuit-là, tu as pris cinq de tes cartes de visite. Sur deux d’entre elles, tu as tracé une croix. Avec un surligneur Stabilo. Rose. Tu as disposé, en éventail, quatre des cartes de visite -dont l’une comportait une croix- faces cachées devant toi. A la base de ces quatre cartes, tu as déposé, face visible, la deuxième carte portant une croix. La carte témoin. Tu as demandé à ton pendule de « scanner » la carte témoin portant la croix visible. Ensuite, tu as demandé à ton pendule de te désigner la carte face cachée sous laquelle était tracée la croix.
Ton pendule a tourné. Dans le sens des aiguilles d’une montre. Quelques secondes. Ensuite, il a « décroché ». Il t’a indiqué une direction. Il t’a désigné avec nette précision une des quatre cartes en éventail. Tu as retourné la carte. Cette carte portait la croix. Waow ! Tu as recommencé l’exercice à trois reprises. En prenant bien soin de mélanger les cartes masquées. A trois reprises, ton pendule t’a indiqué la carte avec la croix. Waow ! Tu t’es senti élu, prodige, doué, avoué. Alors, tu as répété l’opération une quatrième fois. Sans sacré dans tes yeux.
Élu, prodige, doué.
Tu t’émerveilles de tout.
Alors, la première carte que le pendule t’a désignée ne portait pas de croix. La deuxième, non plus. La troisième, non plus. A cet instant, tu as commencé à envisager que derrière ce que tu croyais être un don, dans ta toute puissance d’homme ou de femme, se cachait l’expression de quelque chose de bien plus grand que toi, de bien plus haut que toi, de bien plus élégant que toi : l’Invisible. Un Invisible qui te joue des tours et des détours.
Le lendemain, tu as recommencé l’exercice. Cinq ou six fois. Un fiasco. Ton pendule ne t’indiquait plus rien de compréhensible ni d’observable. Élu, prodige, doué déchu.
Trois nuits plus tard, tu as repositionné les quatre cartes cachées en éventail face à toi. Tu as prononcé cette phrase : « Mon guide, si tu es là, fais-moi un signe... Mes guides, si vous êtes là, faites-moi un signe... » Ton pendule s’est mis à tourner, tourner, tourner. Après quelques larges tours, il s’est dirigé vers une carte masquée. Tu as retourné la carte. Cette carte por- tait la croix. A cet instant-là, ta vie a basculé. Tu as remercié ton pendule.
L’Art du pendule serait aussi question d’un dialogue avec l’Invisible. Tu le pressens. Tu n’oses guère raconter cela autour de toi. Le bien-être ouvre des portes, parfois. Ce soir, près du feu, tu te sens bien. Tu parles.
Un homme avait perdu un canif. Dans un grand bois. A l’aide de leur pendule et sur un plan dessiné à la main, une femme et son époux ont cherché l’endroit où pouvait se trouver le canif. L’épouse a tracé une croix sur le plan. En parallèle, sur un autre plan, l’époux a tracé une croix, à un autre endroit. Deux endroits différents, à une vingtaine de mètres de distance, pour un même objet perdu. Dans un grand bois.
Ils se sont rendus dans le bois. Elle et lui. Ainsi que l’une de leurs enfants. L’épouse chercha le canif à l’endroit de « sa » croix. L’époux chercha le canif à l’endroit de « sa » croix. Rien. Soudain, l’enfant a dit : « Les parents, j’ai trouvé le canif... En vous suivant, j’ai trouvé le canif... » Tu promets que ce que tu vas raconter est vrai. Tu le promets. Sinon, tu ne le raconterais pas. Le canif se trouvait à mi-distance entre la croix de l’épouse et la croix de l’époux. A mi-distance exacte, entre la croix maternelle et la croix paternelle. Là, l’enfant trouva le canif. Dans un bois.
Tu t’émerveilles de tout.
Merveilleux pendule.
Fil de tendresse entre le Monde d’ici et les Autres Mondes.
Tu le pressens.
Tu n’oses guère en parler.
Ce soir, tu as osé.
Marcel s’en va. Dans la nuit.
La chouette, sans un bruit, sort de la grange.
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