Comme tous les 550 ans, nous vivons un vaste changement de paradigme à l'échelle mondiale.
Pourquoi le paradigme de la modernité est-il inéluctablement en train de s'effondrer ? Pour cinq raisons majeures et irréversibles :
Il a été construit sur l'idée d'une abondance intarissable de ressources dans une Nature infiniment généreuse. C'est fini. Nous sommes entrés, définitivement, dans une ère de pénuries et d'appauvrissements matériels, dramatiquement accélérés par une démographie humaine délirante (qu'il faut impérativement juguler à très court terme) et par des mutilations profondes et irréversibles de la biosphère qui nourrit tout ce petit monde. Le temps est venu de la pénurie, de la pauvreté et de la frugalité matérielles qu'il faudra apprendre à compenser par de la richesse intérieure et spirituelle.
Il a été construit sur un modèle mécaniciste (Descartes, Galilée, Newton) qui a fait croire que tout ce qui existe n'est qu'un assemblage de briques élémentaires soumises à des relations élémentaires selon des lois élémentaires : la société est une mécanique de citoyens, l'entreprise est une mécanique de salariés, l'économie est une mécanique de marchés, la connaissance est une mécanique de savoirs, etc … Tout cela est faux, la physique complexe le sait depuis longtemps. L'arrivée des technologies numériques a fait éclater les murs de ce modèle trop simpliste et, partout, a transformé la vraie vie en immenses champs d'interférences entre des réseaux labiles accompagnés d'un énorme saut de complexité.
Il a été construit sur le modèle organisationnel le plus économique et le plus pauvre : la pyramide hiérarchique, c'està- dire la centralisation autoritaire (la famille, l'Etat, l'administration, l'entreprise, …) qui, politiquement, est passée de la tyrannie d'un seul (le monarchisme) à la tyrannie des plus nombreux et des moins compétents (la démocratie au suffrage universel) en passant par les tyrannies monstrueuses des socialismes nationalistes (Mussolini, Hitler, …) ou communistes (Lénine, Staline, Mao, Pol-Pot, Castro, Chavez, …). Ce modèle simpliste et mécanique, parce qu'il est trop lourd et trop lent, est totalement incapable de répondre aux sollicitations et contraintes liées à la montée en complexité du monde réel. Il faut passer à des modèles organisationnels qui soient souples, agiles, créatifs et réactifs, beaucoup plus riches en interactions : ce sont les réseaux, c'est-à-dire des ensembles de petites entités autonomes, fortement interagissantes et fédérées par une projet commun fort. Un exemple : l'Union Européenne (pyramidale et procédurale) des Nations (pyramidales et procédurales) doit céder de toute urgence la main à une Europe fédérale de régions autonomes où le niveau national ne jouera plus qu'un rôle très secondaire.
Il a été construit sur le modèle financiaro-industriel des "marchands" dès la Renaissance, avec une accélération notoire due à la révolution industrielle. Ce modèle économique repose sur trois piliers : (a) la baisse continuelle des prix, (b) la diminution continuelle de l'utilisabilité (non-qualité, obsolescence programmée, grappillage sur les matières premières, les mains-d'oeuvre, les procédés, …), (c) la recherche continuelle de gigantisme et de masses (marché de masse, produit de masse, mass-médias, …) afin de toujours diminuer les prix de vente et de revient grâce aux économies d'échelle. Ce modèle (mécanique, lui aussi) a bien fonctionné jusqu'aux premières alertes : les crises pétrolières de 1973 et 1979. Depuis lors, on commence à comprendre (mais c'est lent, trop lent) que le prix d'achat (donc d'appropriation), abstraction faite des coûts d'utilisation, de maintenance, de déchets, etc …, a beaucoup moins d'importance que la valeur due à l'intensité et la qualité d'utilisabilité (donc d'utilité et d'usage).
Il a été construit, enfin, sur le triomphe du nihilisme et sur l'évacuation progressive mais radicale de toutes les dimensions spirituelles (je n'ai pas dit "religieuses") de l'existence : l'humanisme (l'autre nom de l'anthropocentrisme) a mis l'homme au service de lui-même dans une atroce tautologie narcissique et nombriliste : hors lui-même, plus rien n'a de dignité, de respectabilité, de sacralité, de sainteté. L'homme s'est cru "maître et possesseur" de tout. Et cela a naturellement abouti à Verdun, à Auschwitz, à Kolyma, à Bhopal, à Seveso, à Fukushima. Tout a perdu sens et valeur. L'homme est devenu un zombie insensé qui fuit la réalité du Réel dans la "fête" ou l'amusement, dans la drogue ou l'alcool, dans le sexe ou la dépravation, dans l'idéologie ou le mysticisme, … Il est temps que l'homme se reprenne en main, s'assume lui-même, conquière son autonomie, se donne une bonne raison de vivre au-delà de lui-même et se mette au service d'un vrai projet qui le dépasse.
Voilà donc, très brièvement résumé, le changement de paradigme que nous vivons aujourd'hui.
Comprenons bien que le seul scénario viable pour passer ce cap est celui de l'émergence d'un paradigme nouveau, encore largement à inventer, qui devra, nécessairement, répondre aux ruptures décrites plus haut, et faire accepter :
La fin de l'abondance matérielle et la généralisation des pénuries, c'est-àdire l'inéluctable baisse de toutes les consommations et pouvoirs d'achat, la fin de tous les gaspillages et de tous les caprices, la fin de tous les assistanats.
Le développement accéléré et exponentiel de la numérisation c'est-à-dire, très concrètement, que tout ce qui est robotisable, sera robotisé et que tout ce qui est algorithmisable, sera algorithmisé. Ceci entraîne un déplacement massif des activités proprement humaines et une exigence croissante en compétences, connaissances et virtuosités tant mentales que manuelles.
La "société" va disparaître et être remplacée par des réseaux intriqués de communautés de vie, socioéconomiquement autonomes, organisant chacune leurs solidarités internes, mais soumises, toutes, à une exigeante charte commune. L'Etat national est mort. Le mondialisme est mort.
L'économie spéculative va s'effondrer (c'est le seul effondrement qui soit certain) car elle est portée, aujourd'hui, par des "bulles" irréversiblement létales, et condamnée à révéler ce qu'elle est : rien ! Il ne restera que deux valeurs : le travail et l'intelligence, pourvu qu'ils soient virtuoses et qu'ils se mettent, non pas au service des prix et des marchés de masse (mondiaux), mais bien au service des valeurs d'utilité réelle et des marchés de niche (locaux).
Enfin, il est temps de sortir du nihilisme et, plus généralement, du vaste programme qu'avait la Modernité, de tout laïciser, de tout profaniser, de tout déspiritualiser, de tout matérialiser, de tout humaniser. Il est temps de reposer la grande question : quelle est la vraie raison d'exister de l'homme sur cette Terre ? Au service de quoi doit-il se mettre ? L'homme ou l'humanité ne servent à rien s'ils ne servent qu'à eux-mêmes.
Remettons donc les pendules à l'heure …
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