Cette période de crises superposées qui n’en finissent pas de rebondir, bouscule profondément nos modes de vies, nos convictions et notre façon d’agir. Vous arrive-t-il à vous aussi d’avoir envie de vous boucher les oreilles et de fermer les yeux en espérant les ouvrir à nouveau sur un autre monde ?
Nous connaissons des périodes successives de couvre-feu, de confinement, qui nous obligent à nous cantonner chez nous. Nous vivons des restrictions dans nos modes de déplacements, nous sommes limités dans nos contacts sociaux, nous ne pouvons plus voir nos proches, nos amis, nous ne pouvons plus les serrer dans nos bras.
Nous savons que dans les maisons de repos et dans les hôpitaux nombreux sont ceux qui souffrent de grande solitude.
Tenir à distance les êtres que l’on aime, c’est se priver de la chaleur qui nous réchauffe l’âme. “J’ai mal à l’âme” disait ma grand-mère lorsque, assise devant son téléviseur elle voyait des scènes de famine ou de guerre. Oui, notre âme souffre d’être privée de ce qui constitue le ferment de notre humanité commune : la chaleur vibrante du lien. Certes, les réseaux sociaux nous permettent de nous exprimer à coups d’émotions et d’envoyer des tonnes de petits cœurs, de smileys, de mots doux, … mais cela ne comble pas le vide laissé par l’absence physique d’une étreinte, du toucher sans paroles, d’une présence …
Nous ressentons ce vide et nous en souffrons tous. Cette envie de l’autre, cette soif de lien n’est rien d‘autre que la soif de vivre qui n’est pas assouvie… Quand la soif de lien nous tenaille, elle fait écho à cette rage de vivre.
Cette « formidable envie de vivre » comme le chantait Michel Berger est source de création et d’inspiration. Si nous sommes cantonnés chez nous, ne muselons pas cette sacro-sainte inspiration.
Et si notre rage de vivre s’essouffle, c’est peut-être le signe qu’il faut aller à la recherche de sens, d’actions qui nous donnent une orientation intérieure. Si les crises sont difficiles à vivre, elles offrent la possibilité de nous réajuster. Chaque crise donne l’occasion de discerner et ensuite de faire un choix : celle de nous figer ou de rebondir. Discerner ce qui peut nous permettre de rebondir, c’est déjà une mise en marche. Quels sont les changements et découvertes qu’une crise peut nous apporter?
Viktor Frankl, professeur autrichien en psychiatrie et en neurologie est un rescapé des camps concentrationnaires de la Seconde Guerre mondiale.
Il décrit dans son livre “Man’s Search for Meaning” son effarente expérience de survie dans les camps d’extermination nazis. Dans ces conditions inhumaines, il a perdu une grande partie de sa famille.
Au creux de l’horreur, Frankl s’est posé la question: « Qui dans ces conditions de faim, de travail forcé, d’épuisement, d’humiliations, de conditions de vie déplorables, aurait le plus de chance de survivre? » Comment encore lutter, trouver la force et les motivations qui alimentent la rage de vivre alors que la lumière du soleil est occultée par la fumée sombre des fours qui tournent à plein régime ?
La réponse ne se trouve pas tant dans le comment, mais dans le pourquoi.
En observant ses compagnons d’infortune qui avaient temporairement échappé à la mort et en s’analysant, il s’est rendu compte que la quête de sens est un élément fondamental permettant de rebondir et d‘augmenter ses propres chances de survie.
Frankl décrit dans un carnet de note (qu’il s’est fait confisquer et qu’il a reconstitué avec des bouts de papiers) comment ses compagnons abdiquent et renoncent à l’idée de survivre, et dépérissent, lorsque le dernier fil qui les relie à la vie est rompu : le sens et l’espérance.
L’espoir de pouvoir retrouver un être cher, de transmettre quelque chose, un enseignement tiré de ces camps de la mort, contribue envers et contre tout à améliorer la vie.
Il ne tombe cependant jamais dans l’ apologie de la souffrance comme un mal nécessaire pour trouver du sens à la vie. Il est encore moins moralisateur.
Face à des êtres qui n’ont pas les ressources pour rebondir, il ne prend jamais un ton péremptoire. Il décrit et analyse.
La souffrance en soi n’a pas de sens, ni la résignation. En revanche, trouver des ressources intérieures pour rebondir procure déjà du sens. C’est ce moteur qui nourrit la rage de vivre. Si nous ne trouvons plus de sens, mettons notre énergie dans la quête de ce qui pourrait apporter du sens.
Il propose de partir du réel sans en occulter certaines facettes pour “changer la souffrance en motif de réalisation et d’accomplissement”. Il nomme cela le positivisme tragique.
Comment la quête de sens devient une forme de thérapie qui permet de tenir et même de guérir ? Avec les observations et les analyses qu’il a élaborées, Viktor Frankl a contribué à révolutionner la psychothérapie.
Si notre environnement direct ou indirect nous désole, nous démotive, il peut être le point de départ d’une transformation intérieure en nous posant la question de ce qui pourrait nous donner un sens en période de crise.
Que seraient devenus Nelson Mandela s’il n’y avait pas eu la ségrégation en Afrique du Sud, Mahatma Gandhi s’il n’y avait pas eu la colonisation anglaise en Inde, Jean Moulin sans la Seconde Guerre mondiale?
Que nous apportent les épreuves que nous rencontrons, comment nous permettent-elles d’avancer, de vivre différemment?
L’épreuve des confinements successifs nous prive de beaucoup de choses essentielles mais elle nous renvoie donc aussi à nous-même. Nous nous rendons peut-être plus que jamais compte à quel point ces petits moments de chaleur vécus en temps normal et auxquels on ne s’est jamais attardés, sont si importants.
Comme l’arbre en automne est taillé, nous le sommes dans nos libertés. Alors que ses branches sont élaguées, l’arbre se prépare dans le secret des jours froids et sombres à la promesse du printemps.
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