Depuis la découverte dans les années 1950 de cette molécule géante qu’est l’ADN, la notion d’hérédité génétique irréversible est au centre d’un débat scientifique. Ce déterminisme inéluctable peut nous paralyser et nous entraîner à faire des choix très particuliers. Souvenons-nous de cette actrice américaine, porteuse d’un gène défectueux, qui a décidé de subir une double mastectomie pour prévenir un risque très élevé de cancer. Aujourd’hui, la science nous libère de cette vision rigide et fataliste, pour, au contraire, nous emmener vers une ère où nous pouvons être davantage acteurs de notre santé, comme le mentionnait déjà, à sa manière, Hippocrate dans l’Antiquité. Nos modes de comportement et de pensées peuvent éveiller ou bloquer l’activité de nos gènes à l’instar d’un interrupteur qu’on allume ou éteint. Il s’agit d’épigénétique : un réel bouleversement en biologie, mais aussi un défi bien plus complexe que la génétique.
LA NATUROPATHIE, INTIMEMENT LIÉE À L’ÉPIGÉNÉTIQUE
L’épigénétique signifie : « qui se situe au-dessus de la génétique ».
Elle étudie la nature des mécanismes modifiant de manière réversible, transmissible et adaptative l'expression des gènes sans en changer l’ADN. On sait aujourd’hui que les gènes de tous les êtres vivants, y compris ceux de l’humain, sont en continuelle interaction avec leur environnement.
Dans sa théorie des humeurs, Hippocrate, considéré comme le père de la médecine, établissait déjà un lien entre les humeurs organiques (le microcosme), l’univers (le macrocosme) et les aliments qui contiennent les mêmes propriétés. Etre en bonne santé, c’était préserver l’équilibre de tous ces éléments reliés entre eux. Selon Hippocrate, la « maladie » était déjà la conséquence de facteurs environnementaux, de l’alimentation et des habitudes de vie.
Héritière de cette médecine, la naturopathie, tient compte du terrain de la personne qui peut être modifié selon son mode de vie. La santé est comprise comme un équilibre dynamique entre tous les plans qui nous composent : une harmonie, tant dans notre corps, notre tête, notre cœur, notre Etre que dans tout ce qui nous entoure.
Nous pouvons être le chef d’orchestre de notre vie grâce à la synergie de cinq facteurs permettant de moduler l’expression de nos gènes : l’alimentation, l’exercice physique, la gestion de nos émotions et du stress, le plaisir éprouvé tant dans notre vie professionnelle que privée, le lien affectif et social.
Tout comme la plasticité neuronale, il existe une plasticité génétique, en permanence. Nos gènes sont dynamiques, sensibles à nos pensées et à nos actes. Cependant, la fréquence et la régularité de nos habitudes comportementales ont toute leur importance. C’est la répétition qui permet la variation, un impact bénéfique ou négatif sur nos gènes.
PETIT GLOSSAIRE DE GÉNÉTIQUE
L’ADN (acide désoxyribonucléique) est une molécule biologique, portant environ 25.000 gènes, formée de deux brins complémentaires enroulés en hélice.
Constituant principal de nos chromosomes, l'ADN contient l'information génétique, permettant le développement, le fonctionnement et la reproduction des cellules.
Cependant, ces informations ne peuvent être lues directement par la cellule. L’ADN doit être copié car il ne peut sortir du noyau de la cellule. C’est le rôle des ARN messagers (acide ribonucléique) qui peuvent quitter le noyau. Un peu comme des copies, ces messagers sont chargés de transmettre les informations à de petits organites, les ribosomes qui assemblent les protéines pour construire toutes les molécules dont notre organisme a besoin.
COMMENT CELA FONCTIONNE-T-IL ?
Le pouvoir de l’ADN non codant
Depuis la découverte de l’ADN dans les années 50, la communauté scientifique pensait qu’il y avait un « ADN codant », qui code les protéines et les enzymes et un « ADN non codant » considéré comme inutile, surnommé « ADN poubelle ».
Non seulement, durant ces deux dernières décennies, la science s’est aperçue, d’une part, que « l’ADN non codant » représente jusqu’ à 90 % du génome, mais, d’autre part, qu’il joue un rôle essentiel. C’est lui qui autorise les ARN messagers à délivrer leurs messages ou pas.
Des mécanismes d’activation ou d’inhibition bien complexes.
La chaîne des chromosomes, qui constituent la spirale, s’enroule autour de grosses protéines, les histones. Pour que l’expression des gènes puisse s’effectuer, il convient que les histones soient suffisamment espacées afin que les gènes puissent être lus.
Grâce à nos modes de comportement, nous pouvons, en tant qu’individu, agir sur l’agencement de ces protéines. Par ailleurs, des molécules particulières peuvent venir encombrer les histones et se coller un peu comme des bouts de scotch, pour reprendre les mots du biologiste Joël de Rosnay et empêcher l’accès aux gènes. Ce sont des « groupes méthyles », responsables de la méthylation des histones.
Dit plus simplement, ces groupes jouent un rôle dans la neutralisation de l’expression des gènes. Quant aux « groupe acétyles », ils stimulent l’expression des gènes.
En d’autres mots, à l’instar d’un interrupteur, ces groupes « allument » ou « éteignent » l’activité des gènes.
ÉPIGÉNÉTIQUE ET LONGÉVITÉ
En 2009, deux biologistes, Elizabeth Blackburn et Carol Greider, vont recevoir le prix Nobel pour la découverte de la télomérase, une enzyme qui régule la longueur des télomères. Ce sont de petits segments d’ADN, situés aux bouts des chromosomes, responsables du vieillissement de nos cellules. Avec le temps, ces télomères se raccourcissent. Selon nos relations affectives, notre mode de vie et de pensée, nous vieillissons à des rythmes différents. Lors de cette étude, ces biologistes ont constaté qu’après 3 mois de changement de vie, la télomérase avait augmenté de 30%.
Le stress, en l’occurrence, est notre pire ennemi et plus précisément son degré de perception. Au plus ce dernier est élevé, au plus nos télomères se raccourcissent. Je me souviens d’un « patient », suite à un très gros stress, qui a perdu ses cheveux en 24 heures. Ils ont repoussé en quelques mois.
L’activité épigénétique peut être d’une puissance et d’une rapidité incroyable. Mais attention, elle s’effectue dans les deux sens, aussi bien positivement que négativement.
RALENTIR LE PROCESSUS DE VIEILLISSEMENT :
La nutrigénomique : une alliée incontestable Science qui étudie l'impact de l'alimentation sur l'expression des gènes.
BON À SAVOIR : selon bon nombre d’études scientifiques, le jus de grenade fermenté grâce à sa haute teneur en polyphénols diminue la progression des cancers de la prostate, du sein, du côlon, de la peau et du poumon.
Ce que nos télomères apprécient :
une alimentation peu transformée, davantage végétale, accompagnée de bonnes huiles, d’antioxydants, tel le curcuma, l’ail, le brocoli, la grenade
un sommeil réparateur
l’amour, le rire, la générosité, la gratitude, le plaisir dans ce qu’on fait
des sports doux, taichi, yoga, qigong, méditation, promenade en forêt
ÉPIGÉNÉTIQUE ET TRANSMISSION INTERGÉNÉRATIONNELLE DU STRESS
Le stress est responsable de bien des pathologies, mais plus encore, il se transmet aux générations futures, même in utero. Des études ont prouvé que des enfants dont la maman avait subi un traumatisme durant sa grossesse étaient davantage stressés et anxieux. Par ailleurs, des chercheurs canadiens ont observé que des souriceaux dont les mères ne les léchaient pas à la naissance devenaient à l’âge adulte des souris plus stressées, délaissant à leur tour leurs petits.
ÉPIGÉNÉTIQUE ET GUÉRISON DE NOS ÂMES BLESSÉES
Depuis une trentaine d’années, la psychogénéalogie nous permet de prendre conscience des vestiges psychiques reçus de nos ancêtres sur plusieurs générations. Selon qu’ils soient positifs ou négatifs, on peut tenter de briser la chaîne. Cette vision épigénétique nous libère de ce déterminisme et nous invite aussi à nous débarrasser de nos croyances limitantes. Nos pensées agissent sur nos gènes. On peut avoir peur de mourir ou être animé par la joie de vivre. Comme un placebo peut nous soigner, un nocebo peut s’avérer délétère.
ÉPIGÉNÉTIQUE ET NOS INTESTINS
Nous savons combien l’équilibre de notre microbiote est essentiel à notre santé.
Nous ne pourrions pas vivre sans ces 100.000 milliards de bactéries. Elles permettent à l’organisme de digérer et d’absorber les nutriments qui lui sont indispensables, de participer à la production de certaines vitamines, d’éliminer les toxines et de se défendre contre les agressions extérieures. Nos muqueuses intestinales avec leur 300 m2 sont responsables à 80% de notre système immunitaire et garantes d’une bonne santé psychique grâce à leurs 200 millions de neurones. 95% de la sérotonine, un neurotransmetteur qui participe à la gestion de nos émotions y sont produits. La totalité du tissu nerveux intestinal est en communication permanente avec le cerveau par l’intermédiaire du nerf vague (cf. article dans Etre plus, oct.2020). Tenir compte de l’épigénome de nos bactéries est, dès lors, essentiel à notre bonne santé.
ÉPIGÉNÉTIQUE ET CANCERS : UN CHEMIN TRÈS PROMETTEUR
En oncologie, il n’est question d’épigénétique que depuis une petite dizaine d’années. Outre les cellules oncogènes et les cellules suppresseurs de tumeurs, on a pu observer des cellules promoteurs qui allument ou éteignent le gène voisin. Il s’avère qu’elles sont très méthylées au contact des 2 autres types de cellules précitées, alors que normalement elles ne le sont pas. Ce qui permet d’affirmer que les cancers sont des maladies dégénératives où l’on constate le même procédé d’hyper-méthylation dans le processus de vieillissement. Par ailleurs, comme dit plus haut, si les gènes suppresseurs sont trop serrés, la lecture ne se fait pas et les cellules tumorales continuent de proliférer. Des études ont été conduites sur des hommes souffrant d’un cancer de la prostate précoce et non traité. Après un programme de changement de mode de vie de trois mois seulement, la progression du cancer avait diminué, voire régressé.
L’ÉPIGÉNÉTIQUE ÉTHIQUE
Nos gènes étant sensibles à nos modes de pensée et de comportement, puissions-nous ensemble rétablir la résonance harmonieuse du vivant. Pouvoir réveiller et activer nos « bons » gènes et endormir ceux qui nous sont néfastes pour garantir une bonne santé physique, spirituelle et émotionnelle, tant individuelle que collective, ceci constitue une perspective bien prometteuse. Ralentir le vieillissement de nos cellules, transmettre des gènes protecteurs à nos enfants et petits-enfants en mangeant moins et mieux, en riant, en s’aimant et en partageant. Cependant, dans un monde où la révolution des big data prend son essor, veillons à ce que les découvertes de l’épigénétique soient utilisées à bon escient, en toute éthique et bienveillance.
Un avenir solidaire et équitable en dépend.
Naturopathe, conseillère en nutrition et hygiène vitale
Auteure du livre « Soyez acteur de votre santé », publié aux Editions Racine
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