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Ancre 1

"J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé."

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L’Orage




Je voudrais te parler de l’orage.


L’orage qui fait la Loi.


La Loi de l’eau, du vent, de la roche et du feu.


L’orage qui exige notre humilité dans le long processus de l’Univers.


Je t’écris ces mots d’une maison sous l’orage depuis hier.


Toute la nuit, le ciel a craqué. Toute la nuit, le ciel s’est déchiré. Toute la nuit, la chambre s’est éclairée de flashs lumineux atomiques. Toute la nuit, j’ai compté les secondes entre l’éclair et la fissure du ciel. Toute la nuit. Je suis dans l’orage depuis des heures. Tempête. Parfois, les roulements du tonnerre s’étirent sur plusieurs secondes. Braoum. Le bruit voyage de vallée en vallée. Il s’insinue serpent de sons et d’éclatements. Le bruit est noir. Parfois, le tonnerre claque, poudre, canon, boulet, et me fait sursauter. Enfant, j’ai eu si peur, je m’en souviens, dans les rues de Fosse-La-Ville lors d’une Marche de l’Entre- Sambre-et-Meuse. Les tromblons. La poudre. Pan. Mon effroi. L’enfance me remonte à la gorge.


Un nouveau coup de fouet lumineux gifle la colline. Juste en face de moi. J’ai vu la foudre s’abattre. Distinctement. Rejoindre la Terre. Pénétrer la Terre. Je me place loin de la fenêtre. J’ai peur qu’un éclair brise la vitre et rentre ici, dévaste, irradie, me foudroie. La maison tremble. Le sol tremble. Nouveau claquement de fouet lumineux. Encore. Le sol se soulève. La maison se soulève. C’est inouï. Je salue l’audace des anciens d’avoir osé construire un village dans ces montagnes. Je place en eux toute ma confiance.


Un nouvel éclair illumine le ciel tout entier. Mes yeux sont éblouis. Jusqu’à la douleur. Flashs stroboscopiques. L’activité électrique de mon cerveau est mise à l’épreuve. Je le sens. Dans tout mon corps. J’essaie de t’écrire l’orage et, sous mes doigts, parfois, je ne vois plus la plume de mon stylo. Mes iris doivent sans cesse rajuster la taille d’ouverture de mes pupilles.


Des grêlons s’abattent. J’avais oublié de parler des grêlons. Gros comme des olives. Des olives de pierre. Des olives dures et cassantes. Des olives coupantes. Ils percutent, balles d’escopettes, les toits du village. Et de la maison. Ils cassent, parfois, les tuiles de terre cuite. Le toit perce. Je viens de le constater à l’instant. Les grêlons entrent par la cheminée et roulent dans la pièce de vie, sous la table centenaire. Je ne peux rien arrêter. Le feu de bois dans l’âtre ne peut les détruire. Bataille du feu et de l’eau.


L’électricité vient de se couper. Il y a des bougies dans l’armoire. J’en ai ramenées de la ville il y a quelques jours. Nouvelle salve de grêlons. C’est par vague, les grêlons. Le sentier devant la maison est une rivière. Il serait audacieux de s’y aventurer.


Je veux tenter quelques mètres dehors. Sortir de la maison. Pour sentir, ressentir, toucher, comprendre. J’ouvre la porte à double battants. Un éclair stoppe net ma volonté. Je renonce. Je referme la porte.


Je suis prisonnier.


De l’orage.


Je t’écris à la bougie.


Orage, orgasme de l’Univers.


Tout explose. Tout se fend. Tout se rompt. Les digues sont submergées, englouties, dévastées. Elle s’en fichent, les digues. Les éléments n’ont plus de retenue. La lumière va et vient. L’Univers s’agrippe aux étoiles. Dans un éclatement de cristal. Une déflagration de roches et de quartz. Une détonation de fossiles en gerbes de torrents. Un tremblement du Ciel, de l’Eau et de la Terre. L’Univers crie, se lâche, s’abandonne. Enfin. Il hurle. Il ose. Il ose ses désirs contenus. L’Univers jouit.


Il a contenu très longtemps ses désirs, l’Univers. Il a observé les rivières, les lacs, les champs, les lieux de vie, les prairies, les graines, les orangers, les oliviers, les villages, les femmes, les hommes, les enfants, les animaux, le renard, les potagers, les forêts, les canyons, les défilés, les cailloux, le thym et le romarin, tout. Il a observé tout cela, l’Univers. Il a accumulé en lui toutes sortes d’émotions. Depuis hier, toutes les eaux de l’Univers cherchent une issue pour désemplir les geôles qu’elles occupent. Toutes les eaux de l’Univers tombent et roulent. Sur le toit des maisons. Dans les ruelles. Sur les sentiers. Dans le rio. Il se réveille, le rio. C’est merveilleux. Il accomplit sa mission. Il se donne. Il offre son corps. Transporter l’eau céleste. Il est à nouveau utile, le rio. Le temps d’un temps. Il guide l’eau céleste. De ravines en ravines. De collines, en collines. Sous la terre.


Là, une courbure. L’eau tourbillonne. Elle se regénère. Elle prend l’air. Elle recueille, en elle, les forces du cosmos. Elle prend son temps, même si le tourbillon est inouï. L’eau prend son temps. Elle tourne sur elle-même autant de fois que nécessaire. L’eau s’assure de se gorger des plus belles forces cosmiques, de la lumière des étoiles, des vibrations des forêts, des roches et de la respiration du chevreuil.


L’eau s’engouffre, gonfle et roule ses gros bras de vallées en vallées.


Elle emplit les vaisseaux sanguins des montagnes et des plaines. La vie. Oh, la vie vivante. L’explosion a eu lieu. L’Univers a fermé les yeux. Le temps d’un temps. Derrière le voile de son Ciel. Tourné vers Lui en son éclatement, son cri, son tonnerre, son hurlement.


Voilà.


Un calme revient.


Un apaisement.


Doucement.


Un rayon de soleil s’avance avec prudence sur la pointe des pieds.


Il n’y a plus de bruit dans le village.


La montagne a les cheveux éparpillés. Ses yeux sont neufs. Les arbres s’ébrouent. Les animaux sortent de leur cachette. Il y a de la brume. On dirait des sorcières. Elles continuent le travail de l’orage. Subtilement.


Après l’orage, c’est la vie. Le renard lapera l’eau de la rivière nouvelle. Les potagers de la vallée donneront leurs légumes vigoureux. Les femmes et les hommes se laveront d’une eau prodigieuse et porteuse de bonnes nouvelles. L’enfant éclatera le blond dans ses cheveux propres. Les arbres continueront leur travail d’arbres. Et tout ainsi.


Juste après l’orage, l’Univers goûte à sa renaissance dans le grand lit du monde aux draps défaits.











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