J’ai longtemps vécu en me méfiant de l’Autre. L’Autre dans la file de la grande surface. L’Autre devant le distributeur de tickets à la poste. L’Autre, mon collègue. L’Autre, mon voisin. L’Autre, le passant. L’Autre, assis à côté de moi dans un tram. L’Autre, mon père. L’Autre, ma mère. L’Autre, mon frère. L’Autre, ma sœur. L’Autre, mon amie, mon ami. L’Autre, mon Amour, mes Amours. Du plus anonyme au plus intime, j’ai longtemps vécu en me méfiant de l’Autre.
Toutes les fenêtres de nos enfances ne sont pas ouvertes sur un ciel pur et bleu. Certaines fenêtres sont grillagées ou même obstruées par de lourds panneaux de bois. On ne reçoit pas toutes et tous les mêmes chances. L’Art d’aimer, parfois, on l’a reçu partiellement. Ou pas du tout.
Pour apprendre l’Art d’aimer, parmi les chemins possibles, il y a la rencontre de ces êtres dont on pressent qu’ils détiennent une part du secret. Ces êtres, on les reconnaît à une brillance particulière dans les yeux.
Moi, j’y vais souvent, apprendre l’Art d’aimer. J’en ai besoin. Chez mon maître. Les fenêtres de son appartement ouvrent sur un ciel immense. Il y a du bleu le jour et de l’orange quand monte le soir. Il partage avec moi ses richesses.
Hier, j’ai éteint la télévision au milieu des informations.
Dans son bureau, là où je vais quand je doute, mon maître me parle.
« L’Art d’aimer, ce n’est pas compliqué. C’est même facile.
L’Amour se nourrit de beauté. Je ne te parle pas de la beauté de l’or ou des diamants. Non, non, non. L’or et les diamants sont à la Terre. Laissons à la Terre ce qui appartient à la Terre. L’Amour se moque bien de ces richesses-là.
L’Amour se nourrit de la beauté des simples choses.
Ainsi les bougies. Allume des bougies. Ainsi l’encens. Allume des bâtonnets d’encens. La lumière d’une bougie appelle les Êtres de Lumière. Les parfums d’encens chassent les Esprits des Ténèbres. C’est déjà immense.
Je t’invite à placer, dans tes regards, de la douceur.
Regarde l’Autre tout autour de lui. A quelques centimètres de son corps physique. Cherche à lire autour de l’Autre les vibrations de son aura. Au début, tu ne verras rien. L’Amour demande de l’entraînement. Avec le temps, tu pourras percevoir des halos de lumière et de couleurs. Certains êtres sont très lumineux et très colorés. Puisses-tu apprendre à reconnaître ces hommes et ces femmes.
Regarde l’Autre dans les yeux. Lorsque tu as parlé avec une femme, un homme, un enfant, un vieillard, interroge-toi sur le souvenir que tu gardes de ses yeux. Si tu n’as pas de souvenir précis de ses yeux, c’est que tu n’as pas regardé en vérité. C’est dommage. Tu t’es privé d’aimer. Aide l’Autre à venir dans tes yeux. Ouvre-lui la porte de ton regard.
Je te parle, je te parle, je te parle… Je te donne des conseils. Tu en feras ce que tu voudras. Ce ne sont pas des injonctions. Tu es libre.
Ose poser la main sur la main de ton amie et de ton ami. Ta main sur sa main. Sur son bras. Sur son visage. Sur sa chevelure. Touche en une caresse tendre. Les infirmières savent bien le sens de ce toucher. Elles caressent le vieillard et l’enfant d’une façon si belle. La caresse humaine. Millénaire.
Tu ne me croiras peut-être pas aujourd’hui. Prends le temps. Tu peux poser, sur l’être qui a mal, tes mains à quelques centimètres de sa peau. Oui, à quelques centimètres. Sur ton enfant, ton père, ta mère, ton amie, ton ami, ton amante, ton amant, tu peux poser les mains. Lorsque tu poses tes mains à quelques centimètres d’une peau, demande au Cosmos de soulager les douleurs de l’Autre. N’aie pas peur. Extraie, par tes mains, ce qui fait mal. Diffuse, par tes mains, ce qui soulage. Donne des énergies d’Amour. Fais cela de tes mains.
S’il t’arrive de te situer à des milliers de kilomètres de ton Amour et que tu souhaites le protéger, il t’est possible d’imposer, sur son corps, tes mains. Allonge-toi sur un lit, sur un divan, sur l’herbe sauvage, entre les fleurs, sous le Soleil ou la Lune. Ferme les yeux. Visualise celle ou celui que tu aimes. Dessine son corps dans ton esprit. Visualise tes mains. Passe tes mains tout autour du corps de ton Amour. Lentement. Entoure l’Autre de ton énergie. En pensées.
Si tu goûtes le bonheur de t’étendre près de ton Amour, propose-lui de masser son corps. Son corps nu. Son corps splendide. Son cou. Ses épaules. Ses bras. Ses mains. Ses doigts. Ses phalanges. Son dos. Sa colonne. Ses hanches. Ses jambes. Ses cuisses. Ses mollets. Ses pieds. Ses orteils. Tu n’es pas un expert du massage. N’aie pas peur. L’Amour fait le travail.
Soigne ton corps. Tout ton corps. De la tête aux pieds. Qu’il soit accueillant. Qu’il sente bon. Qu’il soit propre. Qu’il soit lumineux. Qu’il soit coloré. On serait étonné d’observer l’ingéniosité qu’un corps peut développer pour mettre loin l’Autre. Nos bons parfums et nos belles couleurs attirent les Êtres de Lumière. Penses-y. Chaque matin avant d’ouvrir le jour. Chaque soir avant d’ouvrir la nuit.
Puisses-tu, où tu passes, être comme le Soleil qui imprègne l’Univers de ses rayons.
Émerveille-toi du repas qui t’est offert, de la table qui t’accueille, de la maison qui te reçoit, de la parole qui t’est donnée, de l’écoute qui t’est réservée.
Emerveille-toi d’une balade, d’un village, d’une rencontre. Dépose des grains de lumière sur les mille secondes du quotidien. Trop d’éclats sont laissés dans l’ombre noire.
Émerveille-toi de l’Autre. De sa créativité, de ses victoires, de ses succès, de ses gestes, de ses mots, de sa voix, de son corps. Émerveille-toi. Nous avons tous besoin de briller. Sois un Soleil qui illumine.
Si l’on te blesse, soigne ta blessure. Enduits-toi de médication douce. Ne te venge pas. La vengeance est une mérule. Elle attaquera ta vie, tes nuits, tes charpentes, tes fondations. Dédie l’énergie de ta vengeance à des beautés.
Si tu veux être aimé, aime. »
Je retourne dans la ville ébouriffé par les mots de mon maître.
J’ai longtemps vécu en me méfiant de l’Autre. Je sais si peu.
L’Art d’aimer, un baiser bleu sur des lèvres oranges.
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