Cette crise et obligation de confinement a permis une mise en lumière de certains aspects de nos vies, sans doute moins visibles lorsque nous étions dans le « monde d’avant » : nous avons vécu avec l’essentiel et nos vrais besoins nous sont apparus plus distinctement. Notre expérience de confinement a permis à certains d’entre nous de prendre conscience qu’une grande partie de leur consommation et de leurs activités est accessoire voire superflue.
Hédonisme et habituation hédonique
L’hédonisme est une doctrine philosophique selon laquelle la recherche du plaisir et l’évitement de la souffrance constituent le but de l’existence humaine.
En psychologie positive, on nomme « habituation hédonique » (ou hédoniste) le phénomène d’usure et d’habitude envers ce qui nous rend heureux ou joyeux : dès lors qu’une source de bien-être ou de bonheur est présente chaque jour de notre vie, nous l’oublions peu à peu, et elle perd sur nous son pouvoir de nous rendre heureux - Christophe André, médecin psychiatre.
Cette habitude, résultant d’un fonctionnement naturel de notre cerveau, nous fait oublier, la plupart du temps, la chance ou le plaisir de pouvoir prendre une douche, de marcher, de voir, de vivre en démocratie, d’avoir des amis, de manger à sa faim, d’avoir un toit,...
Les conséquences de cette habituation sont une consommation excessive et inutile, une insatisfaction et une lassitude rapide de ce que l’on n’a. Cet état nous conduit à nous tourner vers ce que l’on a pas et que l’on croit pouvoir nous apporter le bonheur. Dans ce concept hédoniste, ce bonheur serait la multiplication d’actes de consommation (achats, voyages, ...) ou d’actions censées nous apporter du plaisir et nous éviter la souffrance. Une lassitude, ou habituation, à ces actes et actions s’installe rapidement pour mener vers l’envie d’en réaliser d’autres et cela à l’infini. C’est aussi la promesse de la société de consommation : achetez, consommez, possédez et vous serez enfin heureux ; en somme une promesse dans l’ordre de l’être qui passe par l’avoir. Mais cela ne fonctionne pas. A titre d’exemple de nombreuses études ont montré que les gagnants du lotto, retrouvaient après quelques mois un niveau de bonheur ou de malheur quasi identique à celui d’avant gain (1).
« Bonheur, je t’ai reconnu au bruit que tu fis en partant » écrivait Raymond Radiguet, poète du XXème siècle. Nous avons une multitude de sources de bonheur dont nous ne prenons conscience que lorsqu’elles nous sont retirées et qui souvent sont immatérielles.
Et si ce confinement avait permis d’apprendre à être heureux avec ce que nous avons déjà, avec ce qui est là. Redécouvrir le plaisir de prendre le temps, de lire, de cuisiner, de contempler la nature, de (re)faire connaissance avec les nôtres.
Redécouvrir tel souvenir de vacances, faire du vélo ou de la marche en forêt, regarder nos enfants, les écouter, jouer avec eux, ressortir les boules de pétanque perdues au fond du garage, apprécier une douche bien chaude au réveil, savourer un délicieux café sous un rayon de soleil, planter une fleur et la regarder s’épanouir... tant de choses qu’au mieux nous faisons sans être attentif ou, pire, que nous oublions de faire débordés que nous sommes par des activités, un travail, des courses et tout ce que nous avons installé dans nos vie trépidantes sans trop nous être interrogés sur le sens qu’ils donnent à nos vies.
Distinguer l’essentiel de l’accessoire
Ces deux mois, où le temps a suspendu sa course folle, ont été une chance historique de prendre conscience de nos peurs fondamentales et donc de nos réels besoins. Nos réflexions nous ont conduits à mettre en perspective nos modes de vie, nos plannings et habitudes « d’avant ». Nous avons tenté de comprendre ce vers quoi nous courrions, sans raison apparente, juste parce-que c’est l’habitude, parce que les autres le font, parce que nous nous laissons sans cesse happés hors de nous-mêmes, vers l’action pour l’action, la consommation, l’agitation,...
Après un moment de sidération, nous nous sommes peut-être dit durant le confinement « finalement, on n’est pas si mal » . Plus besoin de courir partout pour les activités des enfants, d’acheter telle ou telle chose dont je n’ai pas besoin, de voir tel film ou spectacle, de partir en week-end,... je peux me contenter de peu et le vivre bien. Cela ne veut pas dire que ces plaisirs sont à proscrire mais à « consommer avec modération » et en conscience. Un retour à l’essentiel, à la sobriété heureuse chère à Pierre Rabhi.
Cultiver la gratitude et apprécier ce qui est là
A côté de cette distinction essentielle/accessoire et pour éviter cet effet d’habituation hédoniste, sachons apprécier et savourer le plus souvent possible ce que nous avons déjà. Apprécier, par exemple, l’usage précieux de cette voiture qui roule depuis 6 ans, fonctionne très bien et me conduit partout. Être reconnaissant de vivre dans un pays dans lequel je peux voter alors que dans d’autres ce droit n’existe pas. Éprouver de la gratitude pour cet instant d’harmonie lors d’une conversation en famille autour d’un bon repas. Prendre du temps pour aménager mon intérieur ou mon jardin avec ce que j’ai dans mes armoires ou mon grenier. Et, par dessus tout (mais cela est beaucoup plus naturel) profiter des beautés de la nature et s’émerveiller de tous les petits miracles qu’elle fait naître.
Cette crise nous a également fait prendre conscience de l’importance des liens interpersonnels que nous cultivons. Nos parents, nos enfants ou nos amis nous ont terriblement manqué. Sachons nous en souvenir et savourer à l’avenir la chance de les voir et de les serrer dans nos bras. La chance aussi d’aller et venir librement, de passer un après-midi dans un parc, à la campagne ou au bord de l’eau.
La pleine conscience, une alliée
Tout ceci semble évident et pourtant, d’ici quelques semaines ou mois, nous aurons probablement oublié ces manques et ressentis que nous avons pourtant éprouvés intensément durant ces deux mois.
La pleine conscience est une pratique, une philosophie, un art de vivre invitant à être conscient à ce que nous vivons, apprécier ce qui est là, ici et maintenant. Apprendre à cultiver la présence à nos ressentis et besoins afin de ne pas sauter dans notre voiture pour courir acheter tel ou tel objet ou pour nous agiter dans telle activité, sans avoir réfléchi à la motivation qui nous meut. Piégés que nous sommes par notre mode « pilote automatique », autre habitude du cerveau, à dire ou faire des choses sans être vraiment conscients des mécanismes qui sont à l’oeuvre. La pratique de la pleine conscience va nous aider à marquer des pauses, à réfléchir, à faire une introspection de ce qui nous pousse vers tel ou tel achat ou action superflue, à faire le tri de ce qui ne nous correspond pas ou ne répond pas à un réel besoin, à revenir à l’essentiel, à ce qui nous apporte un réel et sincère contentement.
Les trois amis (Christophe André, Alexandre Jollien, Matthieu Ricard(2)) parlent alors d’une plus grande liberté car, conscients de nos affects, croyances, habitudes et influences extérieures nous pourrons choisir nos actions ou non-actions. Croire que pouvoir faire du shopping, consommer « où je veux quand je veux » c’est être libres est une méprise. Nous sommes conditionnés par la publicité, le marketing, la pression sociale, les conventions et par nos affects. Cela nous emprisonne au lieu de nous rendre libre. La liberté, valeur suprême, est d’être conscient de ce qui me meut et de choisir en connaissance de cause.
Habituation hédonique versus sobriété heureuse, pleine conscience, retour à l’essentiel : voici une des grandes leçons de cette crise sanitaire. A nous de cultiver encore et encore cette attitude car, quand on lui laisse les rênes, notre cerveau (grandement aidé par le modèle néo-libéral actuel et le regard de la société) a tendance à nous ramener éternellement sur les mêmes chemins de l’insatisfaction, du toujours plus, toujours plus vite, toujours plus haut, cherchant les sources de bonheur à l’extérieur de nous alors qu’à l’intérieur de nous et au sein de notre communauté, nous abritons des trésors.
1- https://www.academia.edu/429412/Griffiths_M.D._2010_._The_effect_of_winning_large_jackpots_on_human_
2 - A nous la liberté, éditions L’iconoclaste-Allary editions
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